Les trois aventuriers se décidèrent à rentrer dans la taverne « le sanglier rieur » après avoir longtemps parlé dans le froid de la nuit. L’hiver était bientôt terminé, mais le froid était encore vif à partir d’une certaine heure, une fois le soleil couché. De la fumée volait, prenant naissance dans les diverses torches et feus servant pour la lumière ou la chaleur, ainsi que dans les nombreuses substances fumables consommées par la masse attablée çà et là. Ils se dirigèrent directement vers le comptoir, où le patron somnolait à moitié, sans quitter cependant de l’œil la dernière serveuse qu’il avait engagé, autant pour vérifier qu’elle ne tirait pas au flanc que pour le plaisir des yeux ; il savait vraiment bien les choisir, et pas mal d’habitués revenaient pour leurs beaux yeux et leur sourire charmeur. Les nouveaux arrivants n’étaient pas du coin, cela se voyait aussi bien que les jobs qu’ils exerçaient. La jeune femme en tête de groupe était une voleuse, elle avait cependant ôté son bandeau et sa cagoule pour montrer qu’elle n’avait pas d’intention hostile. De même, le jeune guerrier qui la suivait avait son épée dans son fourreau, et la mage noire montrait bien ses mains, preuve qu’elle ne préparait aucun sort. Des bleus, mais pas complètement, ils savaient ce qu’était un donjon, mais n’avaient pas assez de cicatrices pour prétendre être des experts. Leur groupe était presque bien équilibré, il ne manquait plus qu’un mage blanc, voire un archer. A moins que le mago ne soit également initié à la magie régénératrice, mais il y avait fort à parier que non, ou alors son niveau serait très moyen dans les deux domaines. La voleuse se planta devant le gérant, qui dut s’y reprendre à deux fois avant de réaliser qu’elle voulait lui parler. Ses yeux montèrent doucement, il se rinçait sûrement l’œil sur sa tenue de cuir très moulante, ou alors il était juste complètement fatigué. Leur échange fut assez bref, quelques pièces de cuivre roulèrent, rapidement empochées par l’homme, qui donna à son tour ses ordres tandis que le trio allait s’asseoir à une table. Trop centrée, trop sous le couvert des regards ; c’est bien des bleus. Quelques minutes après, la serveuse vint déposer sur leur table trois verres, ainsi que deux pichets. Les deux mâles eurent beaucoup de mal à détacher leur regard de la charmante demoiselle. Ils se servirent à boire, à en croire la couleur des liquides et leur attitude à la consommation, ils avaient commandé une spécialité du chef, une boisson frelatée aux extraits de raisin de saison et aux épices, très appréciée chez les débutants, et un vin à mi-chemin entre le bon marché et le prix honnête. Ils se mirent à discuter à voix basse, pensant que personne ne les entendait. Apparemment, ils recherchaient un ou des membres pour compléter leur groupe, pour compléter une mission au donjon de Thor’dak. Tss, à les voir, ils sont quoi ? Grade E, D peut-être ? Certes, l’appât était grand, la récompense en pièces d’or faisait baver n’importe quel apprenti aventurier. Mais il fallait bien un bon niveau C pour espérer réussir cette quête, sinon cela relevait du suicide, à trois. Leur plan était simple, venir à la taverne chercher deux trois compagnons, partager le butin, et tout le monde serait heureux. Le seul souci, c’est que dans cette taverne, les aventuriers se faisaient rares, et avaient soit des niveaux bien trop haut pour s’intéresser à des jeunots comme eux, soit commençaient à peine le maniement de leur arme. D’ici à ce qu’on retrouve leurs corps devant la grande porte de Thor’dak le lendemain, il n’y avait pas loin. Mais le petit groupe lui plaisait, à l’assassin assis dans un coin de la salle, un verre de liqueur de mandragore à la main. Il finit son verre cul sec, puis se dirigea vers le trio, sans bruit, comme à son habitude.
- alors comme ça, on recherche des compagnons d’armes ?
Les deux mâles du trio sursautèrent, mais pas la voleuse, elle l’avait sûrement entendu arriver dans leur dos au dernier moment.
- Euh, oui … Entama le guerrier, c’est exact. Vous nous avez entendus de là-bas ?
- [Censuré], c’est un assassin, ils ont des oreilles partout ! Le maugréa le mage. Vous seriez volontaire ?
- A voir sa capacité de déplacement silencieux, il est déjà d’un niveau trop haut pour nous … Marmonna la voleuse. Qu’est-ce qui vous intéresse, au juste ?
- C’est moi qui pose les questions. Vous comptez vous attaquer au donjon de Thor’dak parce que le duc de la ville a mis une belle prime sur qui apportera une de ses amulettes volées récemment. A vous voir, vous êtes de niveau D au mieux, vous pensez vraiment avoir une chance ?
- Bah, reprit le guerrier, c’est pour ça qu’on est là, on cherche des compagnons d’armes !
- On sait qu’on paye pas de mine, mais il faut bien commencer non ? Le mage reprit une gorgée de la spécialité du chef.
- On est quatre, précisa la voleuse, un mage blanc en plus. Et pas totalement suicidaires. Si on trouve personne, on n’ira pas.
- Et vu comme c’est parti … Le guerrier ruminait, il finit son verre et s’attaqua au vin.
- Je vois. Dans ce cas, retrouvez-moi demain à l’aube, devant la tour ouest, à l’angle de l’armurerie. Ne soyez pas en retard.
- Eh, mais on n’a pas dit qu’on voulait … -
Trop tard, l’assassin était déjà parti. Le trio resta silencieux un moment, puis ils reprirent la discussion, et décidèrent – sans réel plaisir pour la voleuse et son caractère bien trempé – d’allèrent au rendez-vous le lendemain. Ils continuèrent encore de discuter, jusqu’à en finir leurs verres, les remplir, et les finir encore. Quand la serveuse vint pour débarrasser la table, elle trouva plusieurs pièces de cuivre sur la table laissées par les deux hommes. Pas grand-chose pour elle, mais sûrement déjà un trou dans la bourse des aventuriers. Elle prit les pièces, les glissant dans une petite bourse cachée dans son corset, et glissa vers une autre table, avec un nouveau sourire.
Ils ne furent pas en retard, sans être en avance. L’assassin était déjà présent depuis plusieurs minutes – les vieux réflexes – et il put voir arriver les quatre autres aventuriers. Ils n’avaient pas menti, il y avait bien un – enfin, une mage blanche avec eux. Leur formation était très bonne, le guerrier en tête, celui avec la plus lourde armure, et la voleuse fermant la marche de manière à protéger les deux mages, l’assassin eut un petit sourire satisfait. Le quatuor n’eut pas de mal à reconnaitre l’individu qui leur avait donné rendez-vous, tapi dans ses amples vêtements couleur de nuit, corps et visage cachés. Ce fut la voleuse qui prit la parole.
- Et bien, nous voici. Aurait-on droit à quelques explications, cette fois ? Elle semblait de mauvaise humeur …
- Faut la pardonner hein, elle est comme ça au début, mais après, ça va mieux … Le guerrier eut droit à un regard noir de l’intéressée.
- Beuh, dodo … La magotte blanche semblait avoir du mal à garder les yeux ouverts, elle était emmitouflée dans sa cape de laine. Quand je pense qu’il y en a qui dorment encore à cette heure-là …
- Pense qu’il y en a aussi qui se battent déjà, à cette heure-là. L’assassin les jaugeait sans retenue. Bon, on verra bien ce que vous donnerez au combat. Faites-moi voir vos armes.
- Pardon ? La voleuse porta la main à sa dague, mais pas pour lui montrer. Vous nous prenez pour des bleus ? On se laissera pas plumer ! L’assassin n’eut aucune réaction.
- C’est vrai que c’est louche, qu’est-ce qui nous fait dire que vous comptez pas nous les dérober ?
- Ceci. L’assassin ouvrit une petite bourse d’où étincelaient plusieurs pièces d’or. Je n’ai pas besoin d’argent, je veux juste savoir ce que portent ceux avec qui je combattrai peut-être.
- Moi j’y vois pas de mal … La magotte blanche fouilla sous sa cape, et sortit son sceptre, le tendant à l’assassin. Tenez ! Elle se hâta de rentrer ses bras sous ses vêtements, au chaud.
- Merci. Qui d’autre ? L’assassin se pencha sur le sceptre, le tournant sous tous les angles. Sceptre de guérison minimale avec bonus de temps sur les sorts de groupe … Il rendit son arme à la magotte. Toi, le guerrier, montre-moi ce que tu as. Le guerrier obtempéra après une légère réflexion. Falchion du preux, boostant l'endurance et les dégats contre les morts-vivants … Bref. Toi, mage noir, quels sont tes sorts les plus puissants ?
- Heu, j’ai appris récemment le sort de foudroiement au niveau 3, et j’ai un talisman qui donne beaucoup plus de dommages de foudre ! Après, les autres éléments au niveau 2, et un sort de démence mineur …
- Foudre hein ? Foudre … Il ne manque plus que toi, voleuse.
- Je peux aussi te dire ce que j’ai, non ?
- Ça ira plus vite de me donner ta dague.
- Tss … Elle hésita, regarda ses compagnons, puis tendit son arme à son tour.
- Voilà qui est mieux, une dague du filou avec un bonus d’agilité et qui double les dommages pour les coups dans le dos. Vachement utile en groupe, dans la mêlée, donc dans un donjon. Bref, je résume, avec des armes de débutant, vous comptez assiégez Thor’dak. Ah oui, et des sorts de foudroiement mineurs. Dis, mage noir, sais-tu, sur les 34 espèces de monstres qui se terrent en ces lieux, combien craignent la foudre ?
- Et bien … Non …
- Cinq, et principalement de ceux qu’on rencontre au premier niveau. Ecoutez … Si vous allez dans ce donjon ainsi armés, vous allez y rester. Voire pire, faire tuer quiconque vous accompagnerait.
- Alors, tout ça pour nous dire de laisser tomber ?! La voleuse semblait prête à donner de la voix. On aurait mieux fait de pas venir !
- J’ai connu des voleurs plus silencieux. Rejoignez-moi à l’armurerie, on va voir ce qu’on peut faire pour vous … Et toi, mage noir, utilise un brasier mineur sur elle, elle grelotte de froid.
L’assassin disparu aussitôt, dans un tourbillon de cape, tandis que le mage restait coi.
- T’as entendu ce qu’il t’a dit le monsieur ? Réchauffe-moi euuuh !!
Il s’exécuta, elle ne put retenir un soupir de bonheur, et tous se dirigèrent vers l’armurerie. Les opinions divergeaient déjà sur l’inconnu, la voleuse le détestait cordialement, la magotte l’adorait, et les deux autres ne savaient trop que penser.
L’armurerie était à quelques mètres, et quand ils rentrèrent, ils virent le forgeron en grande discussion avec l’assassin. En voyant rentrer les quatre jeunes gens, le maître des lieux les héla cordialement.
- Aaaah, vous tombez bien mes petits, on vous attendait ! Bon, alors … Toi ! Oui, la voleuse, suis-moi ! On va te trouver deux trois trucs sympa, crois-moi !
La voleuse ne sut trop que faire, elle consulta ses amis du regard qui lui firent tous signe d’y aller. Les trois restants prirent place autour du feu, et la mage blanc tenta d’appeler l’assassin, qui restait dans son coin.
- Diiiiites au fait, c’est quoi votre nom ? Moi c’est Kandi mon nom d’aventurière !!
L’assassin la regarda quelques secondes, avant de répondre d’un ton égal, mais pas froid :
- Mon nom n’a pas encore d’importance.
Puis il se leva, et prit la direction de l’arrière-salle où le forgeron avait emmené la voleuse. Kandi resta bête, avant de lancer un petit « Bon bah tant pis… » et de se rassoir, discutant avec ses compagnons tout en louchant sur les armes et armures montrées.